V - L'artiste __

Je crois que, à travers le temps, certaines voix se sont élevées, inspirées, consciemment ou non, par la grâce divine. Rares sont ceux qui, au moins une fois dans leur vie, n'ont pas ressenti dans l'émotion, véhiculée par un de ces êtres, cette vibration qui donne la chair de poule, emballe le coeur, avec un noeud à la gorge et au ventre, et les larmes au bord des yeux. Il se passe quelque chose qui n'est pas dans le registre de nos cinq sens, et qui nous transcende. Il ne s'agit ni de gloire, ni de pouvoir, mais de cette force insufflée, venant d'un au-delà, qui peut soulever nos taupinières, parfois plus lourdes, pour nous, que la montagne. Il arrive que des êtres soient, par moments, réceptacle et véhicule de ce qui pourrait être nommé rayonnement divin et qu'à leur contact, nous puissions, brièvement le ressentir et en être saisis. J'ai croisé le chemin d'un artiste célèbre qui, je pense, a été émissaire involontaire d'un autre monde. J'étais allée à une soirée théâtrale pour travailler. J'avais présumé de mes forces, j'étais littéralement épuisée. Tout mon corps me faisait mal, et mon moral n'était pas joyeux. Je m'apprêtais à faire acte de présence et à dormir, le temps de la représentation, d'autant que je n'étais pas réellement fan de cet artiste. C'est là qu'il s'est produit ce je n'avais jamais ressenti auparavant et que je n'ai jamais retrouvé. J'ai dirigé mon regard sur la scène, lointaine de ma loge, pour regarder cet artiste, tout petit à cette distance, alors qu'il entamait son numéro. Et, j'ai immédiatement et instantanément, senti toute ma fatique, littéralement, sortir de moi. Elle a fondu, s'est évaporée, à l'extérieur de mon corps, comme si elle avait arrachée. A peine une minute auparavant, je cherchais dans quelle position me tenir sur ma chaise pour réussir à encaisser cette soirée inopportune de travail comme médecin de garde au théâtre. Et, je me trouvais brusquement fraîche et légère, dans une forme que j'ai rarement connue dans ma vie. Ce petit homme, là-bas, loin sur la scène, rayonnait, et son aura avait, en une fraction de seconde, capté et évacué toute ma souffrance. Il racontait des blagues. Je ne connais pas sa vie personnelle. Ce que je sais, c'est que, peu de temps après, il allait créer une association qui, pour les années à venir, permettrait de nourrir des milliers de gens pauvres, puis, mourir dans un accident.

Cette aura, je l'ai perçue aussi dans les yeux d'un coureur brésilien, accidenté fatalement lors d'une course automobile, retransmise, en direct, à la télévision. Lui aussi pourvoyait aux besoins de milliers de gens pauvres, lui aussi était - habité -. Son regard devant la caméra qui le filmait, était déjà tourné vers cet au-delà auquel il croyait avec certitude. Avant la course, il me semble l'avoir entendu dire : - c'est un beau jour pour mourir -...





VI - La voix __

Beaucoup d'entre nous ont rencontré des moments particuliers dans leur vie, de l'ordre de l'indiscible, et de l'inexpliqué, à travers des faits plus ou moins importants. Personnellement, j'ai entendu une voix. Je ne l'ai entendue que quatre fois, mais, elle a emplie ma vie de certitude et paradoxalement d'un doute inconfortable. La première fois, j'étais une jeune adulte dont le couple était en difficulté. J'avais la sensation d'avoir échoué jusqu'à présent, à me faire aimer par mon entourage. Je me lamentais intérieurement : - personne ne m'aimera jamais -. J'étais seule chez moi. Et, une réponse est arrivée, clairement audible, de l'intérieur de moi-même. Une voix douce, chaude, pleine, masculine, m'a juste répondu : - moi, je t'aime -. Je suis restée interloquée. Il est rare que les hallucinations auditives consolent et rassurent, alors que cette voix avait, avec ces petits mots, immédiatement calmé mon désarroi. La deuxième fois se situe dix ans plus tard. Je suis moqueuse, je ne cherche pas d'excuse, j'avais tort et j'ai encore honte d'avoir pensé comme cela, à ce moment-là. J'étais en visite chez un vieux musulman très pratiquant et grognon. Il gardait sa fille enfermée, à domicile. Je ne sais pas ce qui m'a pris en sortant de chez lui, mais, je me revois dans le hall de l'immeuble, en train de me moquer de cette jeune fille et de me dire : - qu'est-ce qu'elle est moche -, ce qui était faux. Et là, j'ai entendu la voix et je suis restée sidérée. La voix disait simplement : - elle ressemble à ma mère -. J'ai filé tête baissée. Je me suis dit, plus tard, qu'il était dommage que je n'ai pas eu la possibilité d'avoir une photo de cette jeune fille... La troisième fois s'est produite dix autres années plus tard, toujours avec la même surprise. Elle ne fut pas plus glorieuse. Je n'avais pas dû retenir la leçon.





La curiosité m'avait poussée à aller voir une relique sacrée exposée tous les demi-siècles. Dans l'église, je trépignais intérieurement. Il fallait attendre toute la durée d'une messe pour qu'ils veuillent bien sortir leur relique. Je me sentais flouée. Enfin, j'ai pu la voir. Je l'ai trouvée petite et je n'ai pas vraiment éprouvé de sensation. J'étais un peu déçue. Car, dans mon for intérieur, je voulais poser une question et j'attendais une réponse, avec la foi du charbonnier. J'ai, cependant, vaguement distingué, à partir de cette relique, la silhouette d'un petit arabe basané, aux traits réguliers, et un regard frappant de profondeur, reflétant l'immensité de l'infini, et la douceur de son amour englobant l'univers tout entier. Ma question qui ne trouvait pas de réponse était : - est-ce que je vais réussir à trouver un enfant à adopter. A la sortie de l'église, je me suis assise sur les marches, et c'est seulement dehors que j'ai entendu la voix : - ce n'est pas la question qu'il fallait poser -, - prie Sainte Eulalie -. Je ne comprenais pas cette réponse, j'étais très agacée, et j'insistais lourdement, en répétant sans cesse intérieurement : - qu'est-ce qu'il aurait fallu demander ? -. Cette réponse intérieure me déboussolait. Alors, la voix a accepté de m'expliquer : - ce qu'il aurait fallu demander, c'est que quelque part dans le monde, une femme ne soit pas obligée d'abandonner son enfant -. J'avoue que j'ai vraiment manqué de respect, en rétorquant : - comment je pourrais contrôler que, grâce à ma prière, une mère ait, réellement, pu conserver son enfant pour l'élever ? -. J'étais dépitée, je me sentais odieuse, indigne, désavouée et inquiète sur ce que me réserverait l'avenir quant à l'éducation de l'enfant que je pourrais adopter. J'espère avoir été pardonnée. Je me suis renseignée, et j'ai appris, ensuite, que Sainte Eulalie est la patronne de l'éloquence dont j'aurais bien besoin pour les démarches d'adoption.





La dernière fois que j'ai entendue la voix, plusieurs années plus tard, était à l'occasion du baptême d'un de mes enfants, dans l'église, juste à la fin de la cérémonie : - tu me la donnes ? -. J'ai répondu rapidement et sèchement : - non -. Une vie de religion ne me paraissait pas un avenir enviable pour un enfant. Là, je crois que je suis allée un peu trop loin...