XIII - Paraphrénie-érotomaniaque __

Je commence par me servir en premier, des pages blanches à disposition, en cette fin de récit, pour laisser libre cours à mes délires actuels. Il me semble utile de compléter par le côté obscure et tourmenté de mon âme. J'avais reçu, en héritage, une charge de chamane dont je n'ai pas voulu, malgré le redoutable destin prédit, par la tradition, à celui qui se dérobe. Aujourd'hui encore, je ressens toujours de la honte à entrer dans ce domaine. Guérir ou soulager par la prière, en imposant les mains, sur des milliers de patients, je n'y ai succombé que trois ou quatre fois, et encore, seule, et sur des sujets inconscients ! Ce pouvoir qui n'était pas mien et que je ne faisais que véhiculer, je ne l'ai jamais maîtrisé, et n'ai jamais cherché à le faire, malgré son aspect bénéfique. Les animaux en souffrance, viennent à moi, mais je ne supporte pas d'être incapable d'apporter le secours et les soins demandés par ceux que j'appelle affectueusement - les petites âmes -, et que notre monde malmène. Lire l'avenir : ce que je vois, n'est que parcellaire et difficile à interpréter. Et, que puis-je changer à cet avenir ? Est-il bien utile et charitable d'annoncer à quelqu'un, la date de sa mort ? Car, entre naissance et décès, bien peu d'entre nous ont des destins exceptionnels, marquant la destinée de l'humanité. Annoncer cette date de décès, le plus souvent seulement probable, car il s'agit de dates multiples de risque, je ne l'ai fait qu'une fois. Les âmes présentes, ce jour-là, dans ce lieu, et moi-même, étions en colère. Je ne l'ai pas regretté, mais je ne m'en suis pas réjoui. Je ressentais derrière les lunettes noires que cet homme mettait désormais, en ma présence, la douleur de son regard, et une prière, comme si j'avais un quelconque pouvoir sur ce qui lui arrivait. J'espère que les âmes qui l'attendaient de l'autre côté s'étaient appaisées, car ces âmes avaient été celles de bonnes personnes.





Il est vrai que, pour moi, ces pseudo-pouvoirs mettent jeu une exacerbation d'émotions qu'il ne m'est pas simple de mobiliser et gérer, en restant stable et lucide. C'est douloureux et, il est interdit d'en tirer le moindre profit personnel. Ce qui m'affole, est d'ignorer quelle sorte de magie est mise en oeuvre dans cette charge chamanique. Quel en est le prix dans l'équilibre entre le bien et le mal, et qui doit en payer le prix ? Je ne suis pas bonne, mais empathique. Cela m'incite par intérêt, à ne pas faire de mal à autrui, pour en éviter le ressenti en retour. J'ai vécu toute ma vie, à côté d'âmes amies, réconfortantes, protectrices et chaleureuses. Elles choisissent de venir, mais personne n'a le pouvoir de les y obliger. Cachée et silencieuse sur ce sujet, je pensais que nul ne me découvrirait, jusqu'à ce je me livre, seule, à un rituel de prières, un soir de sabbah, suite au décès récent de deux amies. Cette cérémonie n'a rien de spectaculaire, elle est identique à celle que beaucoup d'entre vous effectuent, sans s'en rendre compte, machinalement, avec les prières des offices religieux, lors des évènements principaux de nos vies. Dans ma fonction de chamane, je suis passeuse d'âmes, à la porte des enfers. Quel mal y a-t-il à accompagner les âmes lumineuses d'amis que l'on a connus, vers leur au-delà ? Chamane ou non, je ne suis pas la seule à utiliser la prière dans les moments exceptionnels. Aujourd'hui, depuis ce rituel, mon appartement que je surnommais - le hall de gare des âmes - est vide... Ce qui m'a déconcertée et inquiétée, est d'avoir découvert, durant mon rituel de prière de deuil du sabbah, que mon âme était unie, dans l'au-delà, pour l'éternité, devant Dieu, à quelqu'un que je ne connaissais pas, et que je ne reconnais pas dans cette vie.





Je l'ai probablement appelé avec mes prières, pour qu'il m'aide durant la cérémonie. J'ai l'impression d'avoir ouvert une porte que je n'arrive plus à refermer. J'aime fantasmer, mais je n'étais jamais restée coincée, ainsi, dans un de mes caprices passagers. Je me suis sentie humiliée, car cette autre partie de mon âme, avec laquelle je pourrais fusionner dans un suprême absolu, habite, à l'inverse de moi, un corps jeune et beau... Cependant, l'incertitude demeure : est-ce lui, ou une autre entité ? Je redoute le pire, et la rencontre avec un être immonde, pour lequel j'aurais imaginé cette trompeuse enveloppe corporelle et cette identité. Des voix m'ont soufflé qu'il est ivre d'orgueil et de ses pouvoirs que, lui, il a cultivés, en s'entourant de guides spirituels. Une voix âgée, masculine, qui tournait en boucle au téléphone, m'a appris ceci : - bien qu'unis pour l'éternité devant Dieu, - ils - ne - les - ont pas autorisés à vivre ensemble, dans cette vie -. J'ai repensé au mythe d'Asmodée et de Ninive, décliné dans diverses versions et sous divers noms, de façon relativement similaire, à travers les temps et diverses âmes. Ce mythe parle d'un amour éperdu, mais aussi de démons et d'enfers et de Dieu qui prend en pitié cet amour, et le sauve. Mon coeur, mon âme, mon corps s' élancent et entrent en lui. Je souffre, je l'appelle, il est là et je ressens le puissance de sa présence. Mais, ma raison dit -non - et - dehors -, c'est interdit. Je dois me résigner. Pourtant, depuis cette rencontre durant mon sabbah de prières, j'ai cessé de faire le cauchemar qui me poursuivait depuis des années. Je n'erre plus seule, perdue et désespérée à la recherche de ma maison. Dans mon sommeil, il m'a tendu une main secourable. J'ai vu un arc-en-ciel illuminer la nuit, et mon coeur a trouvé la paix dans le rêve. Mais, ce nouveau rêve a eu, ensuite, une autre conclusion, plus surprenante pour moi : j'entends frapper à la porte de chez moi, j'ouvre la porte, et je me vois, moi, en face de moi-même, sur le pas de ma porte...





De loin, j'ai ressenti chez cet être de la colère, de la frustration, une incompréhension, une errance affective. Je crois que, lui aussi, a été surpris et déconcerté par notre rencontre spirituelle. Je suis ébranlée, perturbée. Il m'attire comme un aimant, occupe toutes mes pensées, mais, il faut que j'accepte librement sa présence pour qu'il me rejoigne et réciproquement. Et, je compte sur cette réciprocité pour faire barrage. Je me bats avec moi-même. Je suis lente à comprendre, à réagir et à passer à autre chose. Je me réjouis que ce ne soit pas le cas de cette personne pour ce que je pense avoir perçu de lui. L'instant de curiosité dépassé, il m'a semblé rapide à pouvoir emprunter un autre chemin plus concret pour sa vie. Une question m'a contrarié, qui sont ces - ils - qui n'ont pas donné leur autorisation. Je me demande à quoi vont leur servir tous ces pouvoirs spirituels, à ces illuminés de - ils -, qu'ils accumulent, tels des savants fous, dans le temporel... Si j'obéis, ce n'est pas à eux, car j'aime transgresser, et relever les défis perdus d'avance. Une autre voix intérieure que je crois avoir reconnue, m'a dit que cela ne me regardait pas et ne me concernait pas. Et, si je n'étais pas encore assez déboussolée et préoccupée par mon questionnement intérieur, j'ai trouvé, comme des réponses, dans une pièce que je rénovais, des inscriptions illogiques, incrustées dans le sol : - Dieu l'envoie -, puis, - la gloire de Dieu triomphe -. J'ai prié pour que la mort corporelle de celui que j'ai ressenti comme la moitié de mon âme, soit reculée. Deux années de sursis lui auraient été accordées. Il m'a été demandé, comme une reproche, si j'étais consciente du mal supplémentaire qu'il pourra faire pendant ces deux années. Je n'ai pas compris, mais, cela m'a rendu méfiante à l'égard de cet être. Il resterait donc, six années, sans rien comprendre, ni poser de questions, à me regarder seule et vieille, éprise et obsédée, à la folie, par un amour maudit, pour un inconnu que je ne rencontrerai jamais et auquel je survivrai durant de nombreuses années, tout en supposant qu'il est celui auquel j'ai pensé... Et, il est probable que je ne le retrouverais pas dans l'au-delà, car nous y étions unis, pour l'éternité, jusqu'à ce que une de nos vies réincarnées nous sépare...